La chanteuse Olivia Ruiz était de passage à Madrid pour la promotion de son livre “La commode aux tiroirs de couleurs”, traduit en espagnol.
Une artiste aux multiples talents. En parallèle de sa carrière de chanteuse, Olivia Ruiz possède une plume d’écrivaine. En 2020, elle a fait une entrée fracassante dans le milieu de la littéraire en publiant son premier roman “La commode aux tiroirs de couleurs”. Un livre qui a rencontré un franc succès auprès du public et qui s’est vendu à plus de 500.000 exemplaires. Deux ans plus tard, elle signe son second ouvrage “Écoute la pluie tomber” et voit son premier roman être traduit dans plusieurs langues. À l’occasion de sa tournée de promotion espagnole pour la sortie de “El color de tus recuerdos” chez Duomo Ediciones, nous l’avons rencontrée. C’est à l’Institut Français de Madrid que nous avons échangé avec cette artiste de 42 ans fière de ses racines espagnoles.
Deux ans après la sortie de votre livre “La commode aux tiroirs de couleurs”, ce dernier vient d’être traduit en espagnol. Quel sentiment ressentez-vous de voir votre premier ouvrage traduit dans la langue de vos ancêtres ?
Il y a quelque chose d’assez fort émotionnellement. Au fil des rencontres que j’ai faites pendant ces deux jours de promotion en Espagne, je me suis aperçue que certains Espagnols ne savaient pas ou avaient oublié ce qu’il s’était passé pendant la guerre civile. C’est un peu fou quand même ! Je savais que les Français connaissaient très mal l’histoire de la Retirada, mais je pensais que les Espagnols en avaient toutes les clés. J’avoue que je suis un peu à fleur de peau car l’émotion est grande de se dire qu’il y a des choses oubliées qui vont ressurgir à la lecture de mon livre.
Peut-on parler d’un travail de mémoire ?
Complètement et même indépendamment de ma volonté. Je ne sais pas pourquoi ni comment, seuls un cousin, mon frère et moi étions complètement habités par le sujet, presque obsédés, à vouloir comprendre notre héritage alors que nos trois grands-parents espagnols étaient dans l’incapacité de partager leur histoire. Probablement à cause d’une souffrance trop importante. Devoir faire 400 kilomètres à pied dans l’hiver le plus froid de Catalogne, entre 6 et 12 ans, pour finir parqué sur une plage sans nourriture, être maltraité et apprendre le français par des insultes; on peut comprendre que certaines personnes aient cousu leur bouche sans le vouloir.
À partir de quel âge avez-vous souhaité en savoir davantage sur vos origines ?
Dès l’âge de 8 ans. On partait en vacances dans notre famille espagnole pour la Semaine sainte. Avec mon père, également chanteur, on préparait des chansons pour leur faire plaisir et il m’a sorti “La Foule” d’Édith Piaf en espagnol. Il faut savoir qu’à ce moment-là, je n’ai quasiment pas entendu parler espagnol dans ma famille. Je prends les paroles, je me mets à chanter et là, ma voix se transforme tout de suite. Elle devient beaucoup plus grave, rocailleuse, alors qu’à l’époque j’ai une petite voix toute fluette. Ça a été le premier cri du corps, un vrai déclencheur. Et à partir de là, j’ai commencé à poser des questions et je me suis retrouvée face à des portes closes et des torrents de larmes.
Vous dites que votre livre est une fiction qui mélange le vrai du faux
Exactement. J’ai piqué les prénoms et les noms à des membres de ma famille pour leur faire des petits clins-œil. Par exemple, Angelita est ma grand-tante. Meritxell est la petite fille de ma grand-tante, Pepita et Rita sont mes deux grands-mères et Leonor est mon arrière-grand-mère. Les lieux indiqués existent vraiment mais tout le reste s’apparente à de la fiction. Comme je n’avais pas d’éléments concrets de la part de mes grands-parents, je n’avais pas d’autre choix que d’écrire une fiction. Et ce qui est assez amusant, c’est que des petites choses se sont passées grâce à mon livre.
“Ce qui m’intéresse dans la transmission, ce n’est pas le passé mais le futur.”
Olivia Ruiz
Lesquelles ?
Je suis allée rendre visite à un cousin en Espagne, près de Gérone. En lui donnant le livre, je lui explique qu’il ne retrouvera pas notre histoire, qu’il s’agit de trois petites filles qui font la Retirada. Il me dit alors que notre famille a fait la Retirada et qu’elle a connu les camps de Républicains espagnols sur la plage d’Argelès-sur-Mer. Là je vous jure que les bras m’en sont tombés.
Avec du recul, je me dis qu’il y a une logique. La mère de mon cousin est revenue en Espagne juste après la fin de la guerre civile. Donc son déracinement n’a été que ponctuel. Il y a vraiment une différence majeure entre les deux façons d’avoir perçu l’histoire : ceux qui n’ont jamais pu rentrer et celle qui est revenue. En rentrant de ce séjour, je raconte tout à mes parents et tout d’un coup, mon père me dit : “Maintenant que tu nous dis ça, ma grand-mère me racontait, que chaque soir, elle enterrait ses filles dans le sable pour leur éviter de mourir de froid.” Et là, ça a été un choc de plus.
Est-ce important de montrer qui ont été les personnes âgées et ne pas les réduire qu’à leur vieillesse ?
Absolument. Surtout que nos aînés restent toujours un mystère, quoi qu’on en dise. “Tant qu’on ne vit pas chez les gens, on ne sait pas”. Rita est une femme absolument moderne, qui a beaucoup souffert d’avoir sacrifié sa sexualité au profit de son rôle de mère. Je pense qu’elle aurait quitté André si elle n’était pas dans une culpabilité, une obligation de reconnaissance mais aussi un désir de ne pas arracher sa fille et sa petite-fille à cet homme. Selon moi, si elle retranscrit ces scènes peu conventionnelles dans la lettre adressée à sa petite-fille, c’est parce qu’elle ne veut pas que cette dernière se laisse prendre au même piège. La liberté est l’obsession de Rita. C’est sa façon de dire : “La sexualité te rendra libre aussi”.
Vous êtes aujourd’hui maman d’un petit garçon de 6 ans et demi. Comment faites-vous pour lui transmettre cet héritage ?
Ce qui m’intéresse dans la transmission, ce n’est pas le passé mais le futur. Je veux qu’il soit en capacité de comprendre l’histoire de ses grands-parents pour pouvoir, le jour où il se retrouvera confronté à un exil ou à des exilés, qu’il puisse tendre la main en mémoire de ses ancêtres. Il connaît leur histoire, qui est Franco, ce qu’est la Retirada et il a vu mon spectacle “Bouches Cousues” qui raconte tout ça. Mais ça ne l’intéresse pas plus que ça pour l’instant. C’est un petit garçon qui a une personnalité très forte et qui est toujours dans la contradiction (rires). Par contre, au début de la guerre en Ukraine, mon fils m’a dit : “Maman, on va devoir prendre des Ukrainiens, il va falloir qu’on les aide”. J’étais tellement fière.
En tant que chanteuse, vous écrivez vos propres textes. Maintenant vos propres livres. Quelle est la différence entre ces deux exercices d’écriture ?
La liberté. Avec un livre, on peut prendre le temps de poser une situation et jouer avec les rythmes. Il y a quelque chose qui ressemble à l’ordre de l’abandon, alors que le format d’une chanson nous oblige à jeter plein de choses. On ne rentre pas dans une immersion totale comme dans un roman. Ce moment où l’on a suffisamment écrit pour s’attacher aux personnages est vraiment très agréable. On finit par avoir l’impression qu’ils existent et ça fait du bien.
“‘La commode aux tiroirs de couleurs’ va être adapté en série.”
Olivia Ruiz
D’où votre envie de prolonger l’histoire avec votre second roman “Écoute la pluie tomber” ?
Il faut savoir que j’avais déjà écrit l’histoire de Carmen depuis quelque temps. Quand j’ai appris que ma grand-mère avait fait la Retirada, j’ai réfléchi à son âge et je me suis aperçue que c’était le même que Carmen. Je savais en plus, que c’était une jeune femme de caractère. Donc juste avec ces deux éléments, je me suis lancée dans l’écriture. Encore une fois, tout est fictionné sauf ce lieu magique qu’est le café de Marseillette.
Vous avez consacré un livre sur l’histoire de Rita, un autre sur Carmen. Un troisième livre sur la dernière sœur Leonor est-il prévu ?
Mon troisième travail d’écriture est une courte pièce de théâtre qui fait partie d’un recueil de neuf pièces. Pour l’instant je fais une pause dans mes livres mais bien sûr qu’il faudra que je boucle la trilogie. Et puis, j’ai déjà l’histoire de Leonor qui part bien loin (rires).
Pourquoi avoir choisi ce titre, “La commode aux tiroirs de couleurs” ?
Ce n’est pas moi qui l’ai choisi. C’est le titre du PDF de la mini-nouvelle que j’avais rédigée il y a 10 ans. À ce moment-là, Mathias Malzieu (ndlr le chanteur du groupe de rock français Dionysos) parle à mon amie et agente Olivia de Dieuleveult en lui expliquant que j’ai du temps devant moi car je fais une pause dans les tournées pour devenir maman. Un jour, elle m’appelle comme une fleur en disant qu’elle a retrouvé mes nouvelles et que l’une d’elle sera mon livre. Elle m’explique que je n’ai plus qu’à remplir les tiroirs. Il faut savoir que je n’avais plus le texte car je suis une très mauvaise archiviste (rires). Je me suis prise au jeu et c’est devenu ce livre dont je détestais le titre et je ne l’apprécie toujours pas trop. Le mot “commode” n’existe dans aucune des traductions d’ailleurs. Je préfère le titre allemand, “Toute une vie en une seule nuit”, et l’espagnol “La couleur de tes souvenirs”.
Vous attendiez-vous à un tel accueil de la part du public ?
Je ne m’attendais à rien ou au contraire, à me faire descendre. J’avais peur que tous les médias me tombent dessus en disant : “C’est la chanteuse qui se met à écrire”. Au final, ça ne s’est pas passé donc je retouche ma tête (rires). C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne voulais pas sortir mon livre. Mais mon agente l’a envoyé aux éditeurs dans mon dos. Je lui ai dit qu’elle devait jouer au poker car elle a un petit don pour les prises de risque qui payent (rires).
Après son adaptation en bande-dessinée l’année dernière, mon livre va être adapté en série. J’ai d’ailleurs emmené les scénaristes à Marseillette, Narbonne et Argelès-sur-Mer cet été pour qu’ils s’imprègnent de l’ambiance. Pour l’heure, aucune date de tournage ni de diffusion n’ont été fixées. Il va falloir patienter (rires).
- Olivia Ruiz, La commode aux tiroirs de couleurs, Éditions JC Lattès, 2020, 200 pages, 19.90€
- Olivia Ruiz, Écoute la pluie tomber, Éditions JC Lattès, 2022, 198 pages, 19.90€