«En tant que photojournaliste, vous photographiez la vie, la réalité, les gens tels qu’ils sont et vous vous impliquez dans leurs activités. » Telle était la vision qu’avait Jurgen Schadeberg de son métier. Il est un des rares témoins blancs acceptés par la communauté noire dès 1951 pour documenter la vie quotidienne sous l’apartheid, les grandes figures contestataires du jazz, et les personnalités politiques hors du commun dont Nelson Mandela, de son discours phare de 1951, à sa libération.
Incontournable, son œuvre remarquable a fait l’objet de nombreuses expositions à travers le monde. Ses images fortes avec néanmoins toujours un soupçon d’optimisme. Un morceau d’histoire à découvrir à la Galerie Bonne Espérance à Paris au travers d’une sélection d’œuvres historiques issues de la collection personnelle de Jürgen Schadeberg. Des images entrées dans l’histoire, prises lors de ses premières années en Afrique du Sud, du début des années 50 au tout début des années 60, documentant l’apartheid et la vie des quartiers noirs de Johannesburg.
Né à Berlin en 1931, Jürgen Schadeberg était le fils unique d’une actrice remariée à un soldat britannique à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Le couple quitte la pauvreté de l’Allemagne d’après-guerre pour l’Afrique du Sud. Le jeune Jürgen poursuit seul sa jeune carrière de photographe à Hambourg mais décide en 1950 de rejoindre sa famille en Afrique du Sud, pays considéré alors en Europe comme la terre de toutes les promesses. Cette époque marque la mise en place officielle des lois de ségrégations raciales et le début de la répression impitoyable du régime de l’apartheid.
Ayant grandi au cœur l’idéologie nazie, choqué par le régime raciste qu’il découvre, le jeune Jürgen est très vite happé par l’énergie culturelle, artistique, politique et sociale de la communauté noire ; ses reportages sur l’injustice sociale, capturant la dimension humaine et émotionnelle des conséquences de l’apartheid, seront systématiquement refusés par les rédactions de l’époque.
Jürgen Schadebeg rejoint alors le magazine Drum, seul magazine mensuel life style destiné à la jeune bourgeoisie noire, dont il sera le directeur artistique jusqu’en 1959. Il couvre toutes les contestations d’alors – les premiers discours de Nelson Mandela, la destruction de Sophiatown en 1955, le procès de Haute trahison de l’ANC entre 1956 et 1961, les funérailles de Sharpeville en 1960 etc. mais aussi la grande époque des jazz-bands des Clubs, les scènes de la vie quotidienne des townships ; rien n’échappe à son fidèle Leica 35 mm qui l’accompagnera toute sa vie. Son intérêt pour la photographie est principalement lié au quotidien, au commun, à la part d’ennui à laquelle nous faisons face tous les jours sans même nous en apercevoir tellement elle s’est banalisée
Il a réalisé parmi les plus célèbres portraits de Nelson Mandela qu’il suivra jusqu’à sa libération, ainsi que de nombreuses personnalités politiques – Walter Sisulu, Oliver Tambo, Trevor Huddleston et Govan Mbeki, musiciens et chanteurs de la scène jazz devenus légendaires – Miriam Makeba, Hugh Masekela, Thandi Klaasen ou Kippie Moeketsi, captant la frénésie créative de l’époque dans la danse, la mode et la musique. Ses reportages témoigneront de la violence du régime de l’apartheid et de l’énergie vibrante de la vie quotidienne des townships. Jürgen Schadeberg sera le mentor des photographes parmi les plus créatifs d’Afrique du Sud tels que Bob Gosani, Ernest Cole, et plus tard Peter Magubane.
Rare témoin blanc accepté par la communauté noire, ses reportages apporteront au monde un autre regard sur l’Afrique du Sud et sa réalité. Alors que la pression de la police politique se resserre autour de lui, il quitte l’Afrique du Sud en 1965. Il y retournera 20 ans plus tard, documentant alors l’élan d’espérance de l’émergence de la nation Arc-en-Ciel jusqu’à la désillusion actuelle.
Avant son retour en Afrique du Sud en 1985 Jürgen Schadeberg vivra à Londres, en Espagne, à New York et en France. Il enseignera la photographie à la New School de New York et à Central School of Art and Design de Londres et sera commissaire de nombreuses expositions.
Pour Jürgen Schadeberg, une image ne pouvait être capturée sans la vivre. Dans la lignée du photographe Henri Cartier Bresson, son œuvre témoigne de cette recherche permanente de l’instant, “la photographie est comme actionner le bouton pause de la vie ; vous capturez un moment qui disparaîtra pour toujours, impossible à reproduire.”
Son approche de la lumière, son sens de la composition et les sujets investis marquent la singularité de son travail.
Expositions
BONNE ESPÉRANCE GALLERY
3 Rue Notre Dame de Bonne Nouvelle, 75002 Paris
Jusque’au 28 février 2021
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