C’est un peu de manière inopinée, que le photographe Emmanuel Laborde revient récemment à ses premières amours, cela après avoir délaissé son boîtier depuis les années 1980. Et il eut été bien dommage que cette opportunité ne se présente pas, tant son regard projette bienveillance et admiration envers ses modèles féminins. En perspective de son exposition inédite, organisée dans quelques jours aux Récollets (Paris 10ème), nous avons interrogé sa démarche et son oeuvre, dans l’attente de vivre ce moment artistique qu’il a conçu, encore une fois, avec beaucoup de générosité. Les lecteurs de LCV Magazine, peuvent d’ailleurs à sa demande, solliciter une invitation personnelle en cliquant sur le lien en fin d’article (Ndlr : ci-dessous). Avis aux amateurs ! Et rendez-vous le 17 mai pour une soirée unique, en sa compagnie.
LCV Magazine : Vos portfolios (Cf. www.photographeronline.fr) semblent ne proposer que des modèles féminins : avez-vous déjà photographié des hommes ?
Emmanuel Laborde : Oui, bien sûr. J’ai redécouvert la photographie – que j’avais abandonnée à la fin des années 80 – en partant quelques jours chez des amis installés au Maroc. Je venais d’acheter mon boîtier, je l’ai emporté le temps d’un week-end et instantanément je suis redevenu addict. En rentrant, je me suis mis aux portraits en photographiant tout mon entourage lors de sessions photos que j’organisais sur des journées entières, et très vite, j’ai découvert que je photographiais bien mieux les femmes que les hommes. Un constat aussi simple que flagrant.
LCV : Pourquoi vous intéresser d’une manière quasi-exclusive au sujet féminin, et comme l’exploration de la couleur noire par Soulages, comment – en tant qu’artiste – parvenir à ne pas se lasser, et à se renouveler ? Votre regard a-t-il évolué ces dernières années ?
EL : Dans cet exercice de création, il faut savoir s’écouter. Lorsque j’interroge mon cerveau droit, il me mène systématiquement vers la féminité, ce qui n’est qu’une infime partie du sujet féminin, mais c’est celui que j’aime explorer. Pour ne pas se lasser, il faut trouver son rythme, et ne planifier des shootings que lorsque l’envie est là, souvent suscitée par une rencontre avec un modèle ou un lieu, ou encore avec une idée. Difficile de dire si mon regard a évolué, je n’ai pas assez de recul. Je sais en revanche que j’ai appris à m’émanciper de la technique photographique, que j’assume mieux mes cadrages, mes lumières, mes courtes profondeurs de champs – désolé d’être technique -, et mes contrastes très marqués.
LCV : Vous semblez explorer une certaine dimension de la féminité, posée, mise en scène d’une certaine manière : que souhaitez-vous exprimer par le biais de votre démarche artistique ?
EL : C’est une vraie question de philo, il me faudrait 3h pour y répondre et éventuellement quelques séances préliminaires avec un psy. D’abord, je me focalise principalement sur l’esthétique. Faire du beau, avec toute la subjectivité que cela implique, me semble déjà être une démarche se suffisant à elle-même. Ensuite, la photographie – littéralement écriture avec la lumière – permet de recomposer le réel grâce aux jeux de lumière et de flou, au choix du cadre et donc du point de vue, pour en donner une vision personnelle. Enfin, je prends soin de laisser une part de mystère dans mes photos pour que chacun puisse y prolonger l’histoire à travers sa pensée. L’idée est là, ouvrir une porte qui permettra au spectateur de débuter son propre voyage.
LCV : Travaillez vous avec vos modèles en condition de Studio (éclairage, maquilleuse…) ou préférez vous privilégier l’instant, le naturel ?
EL : Je compose très lentement mes photos, je ne sais pas capturer l’instant comme le font brillamment les photographes sportifs ou animaliers par exemple. J’ai donc besoin de me caler au millimètre, de construire dans ma tête puis avec la lumière, et c’est parfois long, très long. Pour ce qui est de l’entourage, j’ai besoin d’être seul. Toute présence ou simple regard sur la séance vient la modifier. C’est un principe de physique quantique qui s’applique évidemment à la photo. Comme je souhaite donner mon point de vue subjectif sur ce que je phonographie, il faut que j’en sois le seul observateur.
LCV : La féminité est-elle selon vous, forcément glamour ? Et la raison d’être d’une femme, a-t-elle finalement du sens à vos yeux lorsqu’elle s’extraie du territoire de sa féminité : dans l’univers professionnel par exemple, ou le plus souvent elle doit éviter d’être “sexy” si elle souhaite être prise au sérieux ou assumer certaines responsabilités.
« Eviter d’être sexy pour être prise au sérieux », c’est un constat affligeant mais sans doute réaliste de notre époque. Opposer aussi catégoriquement le fond et la forme est une vision d’esprit que je ne partage évidemment pas. De mon côté j’ai fait un choix photographique assumé à travers un prisme très étroit, car le glamour que vous évoquez est graphique et se prête superbement au jeu de la mise en image. Mais je ne veux surtout pas que l’on considère cela comme une vision globale, ce serait aussi dégradant pour la condition féminine que pour moi. J’ai bien conscience que le fait d’avoir à justifier ce point de vue montre à quel point nous sommes sur un terrain sensible, car le glamour devient réducteur si on le prend comme un tout, alors que ce n’est qu’une infime partie.
LCV : Comment selon vous, appréhender la féminité à un autre niveau de perception ? Et dans le contexte de l’affaire Weinstein, quel regard posez-vous sur vos modèles ? Comment en tant qu’homme, apprécier un certain niveau de glamour chez une femme, sans pour autant oublier les autres facettes constitutives de sa personnalité : intelligence, expertise, talent, tempérament… ?
EL : J’aimerais ajouter d’autres qualificatifs : humour, créativité, et la liste mérite encore plus. Toutes ces qualités, je les ai trouvées chez chacun des modèles lorsque nous avons évoqué leur participation à l’exposition, car pour se prêter à ce jeu purement graphique, il faut une sacrée dose de personnalité et de second degré. Pour ce qui est de la capacité des « hommes » à apprécier plus que le glamour, je ne pense pas que l’on puisse se contenter de l’esthétique dans la vie, c’est heureusement la profondeur d’une relation qui crée des liens.
Enfin, concernant l’affaire Weinstein, ce n’est pas parce qu’un producteur a abusé de son pouvoir que les actrices doivent remiser leur talent, leur féminité, ou leur capacité à nous transporter à l’écran. Cet homme s’est comporté comme un prédateur parce qu’il avait du pouvoir, c’est un drame sociétal qui doit aussi exister ailleurs, là où le pouvoir se retrouve concentré entre les mains d’une seule personne. S’il y a un curseur à bouger, c’est celui là, ne nous trompons pas de cible.
LCV : En ce sens, quel “mode d’emploi” pourriez-vous souffler aux personnes qui aiment vos photographies et qui suivent l’évolution de votre travail, pour qu’ils puissent l’apprécier au delà peut être de la facilité de l’érotisme ? Ou peut-être que vous souhaitez justement les emmener sur cette rive là ?
EL : En tant que photographe, je ne peux que proposer un point de vue, pas une interprétation. Il faut d’ailleurs accepter, une fois que la photo existe, que ceux qui la contemplent la fassent vivre à leur guise, en fonction de leur vécu et de leur sensibilité. A moi, si leur interprétation ne me convient pas, d’adapter mon écriture, ou de cesser d’exposer. Et sinon, l’érotisme, vous trouvez vraiment que c’est si simple ?
LCV : Vous organisez bientôt un événement unique aux Récollets, et vous allez dévoiler une série de clichés inédits : pouvez-vous nous en dire plus ?
EL : C’est une nouvelle exploration de la Féminité, la troisième, avec 14 modèles d’origines diverses et souvent très mélangées, photographiées en France, à New-York et Los Angeles pour aller chercher une belle lumière et des lieux photogéniques au grès des 3 années de shootings. J’ai essayé d’y mettre une dose de mystère pour que chacun prolonge le voyage dans la photo, et ce qu’il faut de sensualité pour guider les premiers pas de celui qui regarde, mais pas trop pour laisser libre court à l’imagination. C’est un chemin de crête permanent, un dosage toujours très délicat à trouver. J’ai aussi invité une peintre, AYA, dont j’ai découvert le travail cet hiver, et qui me fascine dans sa capacité à ré- interpréter mes photos. C’est une première pour elle et moi. Enfin Romain Lalire, va créer une installation pour pimenter le cheminement dans l’exposition et donner une dose de mystère additionnelle à cette déambulation.
LCV : Quel type d’expérience auront la chance de vivre les quelques invités triés sur le volet le soir du vernissage ?
EL : Avant tout une déambulation dans un lieu exceptionnel de Paris, les Récollets et le Café A, un site magnifique et totalement anachronique qui date du XVème sicle, et qui sera habillé de lumière et de projections vidéo le temps du vernissage. Ensuite, la découverte des 50 photos inédites et des peinture de AYA, et côté pratique, la possibilité de diner sur place pour prolonger la soirée. Le but est de rendre le moment le plus agréable possible, d’ouvrir une parenthèse pour les invités le temps d’une soirée où tout sera prévu pour qu’ils apprécient le moment.
LCV : Que révèle cette nouvelle série par rapport aux autres ? Est-ce un nouveau regard posé sur d’autres femmes ?
EL : C’est un regard plus diversifié, plus vaste, mais je pense que les invités seront plus à même d’en parler.
VERNISSAGE le 17 mai aux Récollets / Invitation exclusive pour les lecteurs de LCV Magazine :
Lien d’inscription pour le vernissage de l’exposition du 17 mai : http://www.