Je me souviens de leur chant comme si c’était hier, je portais culottes courtes et avais la bonne hauteur pour que mon grand-père puisse me décoiffer en frottant affectueusement sa main sur ma tête. J’avais la taille idéale, celle du bâton, plus compagnon que canne, qui ne le quittait jamais.
Il savait les faire chanter comme personne et pas un au village n’aurait osé lui contester ce talent. C’était tous les dimanches, pour les fêtes religieuses, pour les mariages, les baptêmes…. Mais, ce qui m’impressionnait au plus haut point, se produisait l’été, quand le ciel chargé menaçait de lâcher ses flèches de grêle sur les récoltes, mon grand-père les faisait alors crier à toute volée, jusqu’au fond du ciel. Et les nuages, terrorisés, détalaient.
Le temps passait, il devait lever la main pour la passer dans mes cheveux…
Puis, un jour elles ont chanté différemment, notre vieux voisin venait de nous quitter. Et tout a changé, ce n’étaient plus les baptêmes et les mariages qui rythmaient la vie du village, mais les enterrements.
Quand les rhumatismes ont fini par clouer le curé de la vallée à son presbytère mon grand-père ne les sollicitait plus qu’un dimanche sur deux, puis une fois par mois, par an, puis plus rien…
Je me souviens, caché dans la tour où elles vivaient, l’avoir vu du revers de sa main si douce, cette noble main usée par les travaux des champs, les caresser affectueusement sur la robe. Il pleurait…
Un jour de malheur un autre leur fit donner de la voix, mon grand-père était mort.
Je n’ai jamais plus entendu les cloches de mon village et la grêle peut bien venir détruire les récoltes, il n’y a plus de récoltes depuis bien longtemps…
Le Sanglier