Comme un couple uni depuis des décennies ne va plus l’un sans l’autre, il est déconcertant de découvrir le pianiste de Jazz Keith Jarett voguant en duo sur les flots, lorsque le contrebassiste Gary Peacock et le batteur John de Johnette, ses fidèles compères du célèbre Standards Trio resteraient à quai.
Jarrett retrouve le contrebassiste Charlie Haden pour le label ECM (Universal Music), sur ce dernier opus enregistré au printemps 2007. Sur son Steinway, ” dans un tout petit studio de façon très franche et directe “. C’est que l’artiste semble avoir décidé de nous surprendre. De lâcher prise en quelque sorte. En revisitant ” de splendides chansons d’amour interprétées par des musiciens qui essaient de faire passer le mieux possible le message qu’elles véhiculent. J’espère que vous saurez l’entendre dans ce que nous avons joué. “, a-t-il confié à son service de presse. ” For All We Know “, ” Where Can I Go Without You “, ” No Moon At All “, ” One Day I’ll Fly Away “, ” I’m Gonna Laugh You Right Out Of My Life “, ” Don’t Ever Leave Me “, etc… Le dialogue est permanent entre les deux musiciens qui semblent échanger leurs idées sur une copie équilibrée. L’improvisation est structurée, dirigée, elle ne s’égare pas outre mesure. Ce qui laisse de l’air à respirer pour une palette d’émotions, de la mélancolie aux sourires, en passant par certains regrets. On le devine à certains moments. N’est-ce pas Jasmine ?
Ceux qui connaissent Keith Jarrett pour l’avoir entendu se produire sur scène, s’étonneront sans doute de tant de spontanéité. Son jeu est dense, sans fard, dans une envolée de vérité pourrait-on dire. Que s’est-il passé ? Moins de retenue et de phrasés susurrées. Moins de cet état irrationnel qui nous enivre habituellement, mais que l’on connaît déjà tant de lui. Jarrett avance et semble se laisser porter par l’instant partagé avec son partenaire, sur le fil de cette nouvelle intimité. Définitivement à sa place, en ces jours inspirés d’enregistrement. De toute évidence ce qu’ils avaient de mieux à faire à ce moment là. Non, que Jarrett mente d’ordinaire et qu’il ne soit pas sincère lorsqu’il joue en trio, mais il est appréciable de s’éloigner un peu de la sublime poésie de ses concerts.
A cet endroit de l’album Jasmine, dont l’architecture et la hiérarchisation des titres a été rondement menée par Charlie Haden, il semblerait qu’il soit moins question du mental mais plus de la réalité, de la vraie vie qui s’installe sur un malentendu, dans une cave aux effluves de peinture écaillée. Et juste parce que c’est là que cela se passe. Lorsque le charnel remplace tous les discours, et que la musique se ressent plus qu’elle ne se conceptualise…
Keith Jarrett / Charlie Haden, Jasmine. ECM (mai 2010).
Keith Jarrett piano; Charlie Haden contrebasse.
www.keithjarrett.fr
EN CONCERT LE 21 Juillet A Juan-les-pins (JAZZ A JUAN) – En trio avec le contrebassiste Gary Peacock et le batteur John de Johnette-